Discrétion de la lumière
Anne-Laure Coullomb
Ysabel de Maisonneuve
Pietro Seminelli
■ Choisy-le-Roi
du 16 mai au 6 juin 2013
Hôtel de ville, Choisy-le-Roi
Un vieux maître de théâtre No évoque une scène dans laquelle il interprète un homme de l’aristocratie qui admire la pleine lune depuis le jardin de sa demeure. Les règles du théâtre No prescrivent que, contrairement à l’attente générale, il ne lève pas la tête vers la lune mais regarde un peu loin devant ses pieds, vers un bassin. Ainsi, il n’admire pas la lune elle-même mais son reflet dans l’eau.
Cette histoire, qui évoque l’oeuvre de l’écrivain japonais Tanizaki, « Eloge de l’ombre », illustre l’admiration pour la beauté cachée, sobre et discrète, qui est une des qualités extraordinaires de l’esthétique japonaise. Les trois artistes dont les oeuvres sont présentées
dans l’exposition « Discrétion de la lumière » partagent cette sensibilité : les tissus tissés à la main d’Anne-Laure Coullomb, les voiles teints à réserve par ligatures d’Ysabel de Maisonneuve et les plissages de Pietro Seminelli, tous créés avec des techniques distinctes, ont pourtant en commun une beauté qui dérive de la lumière - non pas celle du soleil, mais celle du clair de lune, qui a tant d’importance dans la littérature japonaise. Ce n’est donc nullement par hasard que ces trois artistes sont si sensibles à la culture japonaise et utilisent des techniques qui en sont directement inspirées, le tissage très fin d’Anne-Laure, la technique de teinture à réserve shibori d’Ysabel, dont les Japonais sont de grands maîtres, et le plissage de Pietro qui nous évoque l’origami, familier au monde occidental.
Dans sa création Pietro envisage le pli qui fait percevoir le mystérieux et le magique. Les évocations qu’il y rattache sont les notions d’enveloppe, de peau, de mutations ou de métamorphoses, de chrysalides, du secret, de l’intime. Il écrit « Je n’ai pu soustraire ces notions de leur implication corporelle. De fait, lorsque j’inscris les plis dans la toile, s’y glissent à chaque instant les fragments de mes émotions et de mon histoire. » Et plus loin il dit « De nos bonheurs à nos deuils, tout s’inscrit, et tout notre être en porte la trace…. » Et ces traces se cachent dans les tissus de Pietro et leur présence en émane avec discrétion.
C’est en travaillant sur le thème de la toile d’araignée à l’Ecole des Beaux Arts qu’Ysabel de Maisonneuve rencontre le textile et la trajectoire d’un fil. Ysabel vit l’art textile comme une danse qui invite le regard à circuler et le corps à se déplacer. Cette passion pour la danse et le mouvement l’amène à explorer le monde du textile pour dessiner et parcourir l’espace. C’est donc tout à fait naturel qu’elle crée et réalise costumes et décors pour des metteurs en scène et des chorégraphes : Peter Brook, Ariane Mnouchkine du Théâtre du Soleil parmi d’autres. Invitée par la Japan Foundation en 1994 et 2001, elle vit dans une entreprise familiale de teinture à l’indigo et dirige sa recherche vers des procédés de shibori.
Cette technique permettant de créer des motifs en réservant le tissu par ligatures, fait écho à cette quête du geste et ces parts de mystère enfouies dans nos mémoires. Les tissus teints d’Ysabel de Maisonneuve flottent dans l’espace en jouant avec le vent léger et avec la lumière. D’une part Anne-Laure recompose le tissage des fragments d’imprimés existants, de façon aléatoire, afin d’en proposer une autre lecture. Le sujet perd alors son réalisme et devient tache, impression ou simple expression, Education Sentimentale est le nom de l’étoffe originelle.
D’autre part, tisser l’intangible, l’imperceptible, donner de la matière à l’émotion, évoquer et suggérer des sensations par le rythme et la couleur. Tisser la beauté de l’instant comme une sorte de haiku1. Dans ces poèmes japonais, chaque saison est liée à une émotion particulière comme le tissu Harusame2 qui en témoigne.
1Haiku: Un poème traditionnel japonais qui se compose de 17 sons : 5-7-5. Chaque haiku contient essentiellement un mot lié aux saisons.
2 Harusame: la pluie douce de printemps